Text in memory of my sister Leila Alaoui, killed in Burkina Faso while on assignment for Amnesty international for women's rights.

 

I have something to tell you, you who killed me.
I have something to tell you, but you must lend me your ear and listen very carefully.
This same ear you never lent to anyone, neither to your father the farmer, nor to the teacher you've never had.

I would like to tell you, you who killed me, that I forgive you, because you have no comprehension of the gravity of your crime.
You have no idea of the monstrous damages you have committed, the multiple lives you have devastated, and the wells of grief you have dug to infinity… 
No, you do not know any of this because in the world you lived in, one take care of oneself first, it is a matter of survival.

I forgive you because you are a victim, just like me. And perhaps even more, because unlike you, I knew precisely what I was getting myself into. I knew the risks I was taking, but I, like other passionates people, always managed to convince myself that I would fall though the cracks of the net of misfortune.

It was not the case this time.

It was my time to go, although it came a little too early, because I had not yet finished my work.
I had other battles to fight, blinders to snatch, consciences to disrupt.

You see, I met a lot of young people your age when I recorded "Crossing", a video about candidates for illegal immigration.
And you know,  they looked just like you.
Seeing them, I see you with your Kalashnikov pointed at me and my neighbors at the cappuccino restaurant.

I knew you would shoot the same way I watched them embark on makeshift rafts and get lost in the waves in search of a better life.
The same passion.
The same state of near trance where no alternative was possible.
You shoot. They board.

The mafia that sold them Paris, Madrid, Milan or Brussels, is the same one that sold you Paradise, with its seventy virgins, its rivers of wine, honey flowing from trees ...
The language changes, but the mafias remain the same, professing to be religious or not.

You see, you who killed me, I would have liked to know your name, your story.
Snippets of your life I could have photographed to show the world, to save you ... maybe.

We could have sat at the Cappuccino restaurant and talk you and me.
I would have shared with you my discontent with those countries which imposed a life lived in landfills, favela, or shantytown.

I would have said that I am mad at these fanatics who have infiltrated your villages to condition young people your age.

I would have said that I am also against these social classes that use this misery and continue to exploit and underpay people of your condition.

So from deep down in my grave, I want to tell you that I have nothing against you, you who killed me.
And to tell them: arrange what can still be ... before it's too late.

 

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J’ai un mot à te dire, toi qui m’as tuée.
J’ai un mot à te dire mais il faudrait me prêter attentivement l’oreille. 
Cette même oreille que tu n’as jamais prêtée à personne, ni à ton père le paysan, ni à l’instituteur que tu n’as jamais eu. 

Je voudrais te dire, ô toi qui m’as tuée : je te pardonne, parce que tu ne mesures pas la portée de ton crime. 
Tu n’as aucune idée des dégâts monstrueux que tu as commis, les multiples existences dévastées, les gouffres de chagrin creusés à l’infini… 
Non, tu ne sais rien de tout cela parce que dans le monde où tu as vécu, on s’occupe d’abord de soi-même, c’est une question de survie.

Je te pardonne parce que tu es victime au même titre que moi. Et peut-être davantage car contrairement à toi, je savais de façon précise où je mettais les pieds, je connaissais les risques que j’encourais, mais chez les passionnés de mon espèce, on  parvient toujours à se convaincre qu’on passera, une fois de plus, entre les mailles du malheur.

Ça n’a pas été le cas cette fois-ci. 

C’était mon heure, venue un peu trop tôt car je n’avais pas encore fini mon travail. 
J’avais d’autres combats à livrer, des œillères à arracher, des consciences à perturber. 

Vois-tu, j’ai rencontré plein de jeunes gens de ton âge pendant que je réalisais « Crossing », une vidéo sur  les candidats au départ pour l’immigration clandestine. 
Tu sais quoi, ils te ressemblent comme deux gouttes d’eau. 
En les voyant, je te vois avec ta kalachnikov pointée sur moi et sur  mes voisins du café Capuccino. 

Je savais que tu allais tirer comme je les voyais embarquer sur des radeaux de fortune et se perdre dans la houle en quête d’une vie meilleure. 
Même fougue. 
Même état de quasi-transe où aucune autre alternative n’était possible. 
Tu tires. Ils embarquent. 

La mafia qui leur vendait Paris, Madrid, Milan ou Bruxelles, est la même que celle qui t’a vendu le Paradis, avec ses soixante dix vierges, ses fleuves de vin, son miel qui coule des arbres… 
Le langage change, mais les mafias restent les mêmes, soi-disant religieuses ou pas. 

Tu vois, toi qui m’a tuée, j’aurais aimé connaître ton nom, ton histoire.
Des bribes de vie que j’aurais pu photographier pour les montrer au monde, pour te sauver… peut-être. 

Nous aurions pu nous asseoir au café Cappuccino et discuter toi et moi. 

Je t’aurais dit que j’en veux davantage aux Etats qui t’ont infligé une vie dans une décharge, une favela, ou un bidonville quelconque. 

Je t’aurais dit que j’en veux à ces fanatiques qui se sont installés sur le fumier pour conditionner des jeunes gens de ton âge. 

Je t’aurais dit que j’en veux  à ces classes qui profitent  de cette misère et continuent à exploiter et à sous-payer les gens de ta condition.

Voilà, du fin-fond de ma terre, je voudrais te dire que je n’ai rien contre toi, ô toi qui m’as tuée. 
Et dis-leur: arrangeons ce qui peut encore l’être… avant qu’il ne soit trop tard.